Gilles Roger, vice champion du monde + 55
Retour de Gilles Roger sur le Championnat du Monde Vétéran 2024 à Amsterdam.
AROUND THE WORLD
9/1/2024


“Inside world squash championship +55 by ROGER Gilles.
On ne voit que des images. On ne lit que les résultats.
J’ai décidé d’écrire ce qu’il y a en dessous de ceux-ci, par mon expérience que j’ai au niveau du jeu de squash et du sport en général, et qui s’est terminé par une finale du championnat du monde lors de laquelle je me blesse grièvement par une rupture du tendon d’achille.
Le squash n’est qu’un jeu. Un jeu d’adresse, de physique, de mental…. Mais un jeu ! J’ai toujours joué pour m’amuser, et qu’est-ce que je me suis amusé ! C’est toujours l’amusement et la beauté du coup joué au bon moment qui me font vibrer.
Essayez de jouer même le coup le plus improbable qui vous donne envie, et c’est quand vous le réussirez que vous ressentirez une satisfaction intense, même intense parfois que de gagner le match. J’ai rencontré beaucoup de personnes avec lesquelles je me suis lié d’amitié mais ce fut toujours le jeu de squash qui resta la liaison de toutes ces amitiés.
J’ai joué avec cette philosophie jusqu'à mes 40 ans sans me poser de question ce qui m’a permis d’être série A pendant plus de 20 ans, de jouer à de multiples reprises en équipe nationale, d’atteindre plusieurs fois les demi-finale du championnat de Belgique senior, de gagner pas mal de tournois régionaux,… Arrivé à cet âge, mon corps a commencé à me lâcher et impossible de continuer à jouer. (Crampes au mollet, déchirure à répétition, mal au dos,….). J’ai cru que j’étais trop vieux et que c’était normal. Je n’avais pas conscience de l’aspect physique du jeu et du mental même à cet âge. J’ai arrêté le squash et le sport pendant 7 ans.
Par un incroyable concours de circonstances, par des rencontres, en discutant, en écoutant les professionnels de santé, en étant ouvert d’esprit, en réfléchissant, je me suis ouvert à un monde de remise en forme et de bien-être. C’est mon corps qui me l’a fait comprendre et je l’ai écouté. Petit à petit, en prenant de bonnes habitudes, en faisant les bons exercices, en mangeant les bonnes choses, mon corps s’est régénéré, il a fallu plusieurs années mais c’est arrivé. J’ai réussi à inverser la spirale négative en positive, en comprenant ce qu’il fallait faire. J’en ai été vraiment agréablement surpris de voir que c’était possible et j’en profite aujourd’hui un maximum tous les jours.
J’ai commencé à recourir, à m'entraîner un peu physiquement. Un nouveau club de squash s’est ouvert à Tournai, qui m’a permis de rejouer au squash, refaire quelques tournois, enchainer quelques victoires, retrouver mes sensations de pouvoir jouer avec une certaine vitesse, pour arriver au tournoi du championnat du monde à Amsterdam cette fin août. Ayant participé à quelques tournois Master, et pouvant comparer le niveau de joueurs avec le mien, je savais qu’en m’entrainant un peu plus avant celui-ci, j’avais une petite chance. J’en avais parlé à quelques personnes qui se reconnaitront, je ne sais pas vraiment s’ils y croyaient comme moi je pouvais y croire.
Je me suis donc un peu plus entraîné à partir de mars, en commençant par du physique, et en enchaînant quelques tournois. Il est important de jouer en tournoi pour ressentir la pression d’un match officiel qu’on n’a pas en amical. La force des bons joueurs est qu’il joue mieux sous pression. En guise de préparation finale, j’avais rencontré des amis espagnols de Tenerife. Je leur ai demandé si je pouvais m'entraîner avec eux et j’ai été accueilli très chaleureusement dans leurs clubs. Des stages étaient organisés, j’avais des joueurs de mon niveau à disposition. Je sentais que mon niveau de jeu progressait à vue d’œil.
C’était trop beau pour que cela continue. Je pousse de plus en plus, après cinq jours d'entraînement, je me fais une élongation des ischio avec une tendinite à l’aine. Plus moyen de jouer. On est trois semaines avant le championnat du monde vétéran. Désillusion totale, repos complet, je ne sais si je vais pouvoir y participer.
Le tournoi va commencer, je n’ai pas rejoué depuis trois semaines, je prends rendez-vous chez mon docteur, il me confirme un jour avant le premier match que mon élongation est résorbée mais que j’ai toujours une tendinite chronique à l’aine, que je peux essayer de rejouer avec des anti-douleurs si la douleur n’est pas trop forte.
J’attaque le premier tour contre un brésilien qui a un bon niveau. Je n’ose pas aller vers l’avant, je gagne le match 3/1 serré, en ayant perdu le premier set.
Le deuxième est contre un bon joueur anglais, jouant de façon classique, assez physique mais assez lent. Je gagne en contrôlant le match sans trop pousser. Je commence à prendre confiance, mes coups deviennent incisifs, ma douleur diminue. J’essaie maintenant de bien m’échauffer avant chaque match, ce que j’avais peur de faire lors des premiers matchs. J’étire mieux mon psoas , pour être sûr que mon tendon soit bien chaud lors du début du match.
Je joue un allemand au troisième tour, il avait bénéficié du forfait d’une tête de série et n’avait pas un très bon niveau. J’attaque à tout va, je tente, tout rentre, match très vite gagné.
Viens le quatrième match, quart de finale. Je joue un espagnol qui apparemment a beaucoup gagné auparavant dans sa carrière, il vient de sortir un allemand le tour précédent qui était tête de série 3-4 et ancien douzième mondial. Je me méfie, l’organisation du tournoi, qui a été exécrable durant tout le tournoi, nous fait jouer à 10 heures du matin, ce qui casse vraiment tout notre rythme. Je me prépare bien le matin, je rentre sur le terrain super motivé, il m’attaque directement en amorties dès le début, je le contre, je contrôle son jeu, je gagne le premier jeu et en le poussant sur une belle longueur au milieu du deuxième jeu, il se fait mal à la cuisse et ne peut pas continuer. De mon côté, je joue de mieux en mieux, je sens que je peux réaliser maintenant quelque chose de grand.
Demi-finale, je joue un hollandais qui a tout gagné, ex 35ème mondial, qui joue chez lui à Amsterdam. Il a sorti la tête de série numéro 2 au tour précédent ; On est programmé sur le court vitré. Ce que personne ne sait, c’est que j’adore jouer sur un court vitré, la balle accroche mieux, les amorties ressortent moins, et mon jeu de feintes et de doubles murs marchent mieux grâce aux côtés sombres des murs.
Je rentre confiant sur le terrain, j’ai un plan, taper très fort en longueur pour être sûr qu’il ne prenne pas trop de volées. Dès que j’en ai l’opportunité, j’attaque devant. J’exécute mon plan à la lettre, je sens bien la balle, je sens que ça peut le faire. Je gagne le premier jeu, je perds le deuxième tout juste alors que j’aurais dû le gagner, j’attaque à tout va devant les 3ème et 4ème jeux que je gagne assez facilement. Je n’en reviens pas, l’émotion m’atteint à ce moment-là, je suis en finale.
Alors que j’avais assez bien gérer les moments d’entre match, la pression m’atteint maintenant. On avait prévu un petit dîner avec mes amis espagnols avant qu’ils ne partent, je décide quand même d’y aller. On rentre un peu tard, je ne trouve pas le sommeil, je dors quelques heures. Le match de la finale était prévu sur le court vitré toute la semaine, je m’en réjouissais. C’était une première pour moi, jouer devant autant de monde et avoir une reconnaissance pour le jeu que je pratique.
Je remarque au matin qu’ils ont modifié le terrain de la finale, je joue sur un terrain classique. Cela m’énerve, je ne comprends pas pourquoi. Ça devait être mon moment de fête. Juste parce que j’ai battu leur hollandais, c’est un scandale. Le court n’aurait pas été modifié si le hollandais était en finale. Enfin quoi qu’il en soit, j’ai une finale à gagner. Je me sens super bien, pas courbaturé du tout et je finis par me faire une raison.
Je joue un allemand, je le connais, c’est un shot player, mais je suis confiant. Le match commence, je suis plus rapide que lui, mon cerveau fonctionne à 100 à l’heure, je ne rate pratiquement rien le premier, je lui mets 11/2. Trop facile. Le deuxième commence, je vole sur le terrain, ce match ne peut pas m’échapper, les premiers échanges du set sont durs, je rattrape toutes ses attaques, on est à 4/4 et tout d’un coup, sans aucun signe annonciateur, je ressens une décharge dans mon tendon d’achille droit et m’écroule. Je ne sais pas ce qui se passe, est-ce que je peux me relever, j’ai la tête qui tourne, on s’affaire autour de moi, l’arbitre arrive près de moi, il me demande si je peux continuer, il me dit que j’ai deux minutes.
Je vis une scène surréaliste, je finis par enlever moi-même ma chaussure, personne ne sachant ce qu’il faut faire et là je vois comme un creux au niveau tendon. Je sais que c’est fini, que c’est cruel, en finale. Mon adversaire qui a été d’une grande élégance et un arbitre principal me transporte jusque sur une chaise dans le hall principal.
Mais bon, je suis plus inquiet pour ma santé maintenant, je sens que ma blessure est grave, je ne reçois pratiquement aucune aide de l’organisation, qui au contraire m’ont fait perdre beaucoup de temps. Plusieurs personnes sont alarmistes et me disent de ne pas attendre d’aller à l’hôpital pour me faire opérer directement.
Heureusement que j’ai ma compagne avec moi, et mon meilleur ami. Sans eux, rien ne se passe et je suis à l’abandon. On vous met dans une pièce à côté en essayant que cela s’ébruite le moins possible. Ils m’emmènent aux urgences à l’hôpital, ou on me confirme une rupture du tendon d'Achille. On me plâtre. Mon ami a l’intelligence de retourner au club pour la remise de prix à laquelle je ne peux être là. Il demande à mon adversaire si c’est possible de faire un vidéo call avec moi lors de la remise de médailles, le présentateur est au courant et m’annonce. Je reçois un standing ovation de toutes les personnes présentes au club en vidéo call de l’hôpital en train de me faire plâtrer. Très émouvant. Je peux repartir, la déchirure n’est pas trop douloureuse. Je retrouve mon ami sur le trottoir de l’hôpital ou il me la remet simulant la remise officielle, en compagnie de ma compagne. Moment inoubliable.
Je décide de retourner au club en boire une petite, quand même pour essayer de rester positif.
Et là, tous les joueurs encore présents, des grands noms du squash dont j’avais entendu parler mais que je n’avais jamais rencontré sont venus vers moi, pour m’encourager, me consoler, me raconter ce qui leur était arrivé …. Et cela m’a fait beaucoup de bien.
Le reste n’est que maintenant le processus de guérison. Grâce à quelques-uns qui m’ont vraiment aidé, j’ai pu rencontrer rapidement un bon chirurgien orthopédiste qui m’a opéré le vendredi suivant le tournoi pour réparer ma déchirure totale en oblique de mon tendon d'Achille au départ de mon talon. La rééducation prendra 10 semaines dans le plâtre, deux à trois mois de botte orthopédique, deux ou trois mois de kiné.
J’ai écrit cette nouvelle surtout pour vous dire que des moments pareils valent la peine d’être vécus, que tout est possible, qu’ils sont remplis de tellement d’émotions, et que c’est pour cela qu’on vit.
Merci à ma compagne et à mon meilleur ami pour avoir partagé ces moments dans l’intimité et pour m’avoir aidé dans les moments difficiles.
Merci à tous les joueurs du tournoi qui ont été d’une grande sympathie.
Merci à tous ceux qui m’ont aidé après ma blessure et qui se reconnaîtront, je ne les oublierai pas.
Pas d’illusion au niveau des organisateurs hollandais du tournoi qui n’ont eu aucun respect pour les joueurs quels qu’ils soient. Incompréhensible comment certaines personnes peuvent être placées à certains postes sans visiblement d’expérience, compensant ce manque par une attitude hautaine et de dénigrement vis-à-vis des joueurs.
Pas d’illusion au niveau des différentes fédérations ou je n’ai reçu aucune aide et aucun soutien.
Gilles ROGER, Vice-champion du monde de Squash +55".


Gilles Roger vous partage son expérience lors du championnat du monde vétéran 2024, son retour sur le court et sa deuxième place sur le podium +55!